Dans les coulisses d’une dystopie contemporaine : Angela au pays du rien dans N’attendez pas trop la fin du monde

N’attendez pas trop la fin du monde, un film qui dénonce les affres de la société roumaine actuelle

N’attendez pas trop la fin du monde est un film roumain réalisé par Radu Jude. Ce long-métrage met en scène Angela, une jeune assistante travaillant sur le tournage d’un film d’entreprise. L’intrigue se déroule alors qu’elle recherche des personnes handicapées pour les faire témoigner en faveur de l’entreprise. Au cours de ses rencontres avec ces personnes, le film dépeint la pauvreté, l’abandon et l’apathie généralisée qui règnent dans la société roumaine contemporaine.

Ce tableau met en avant l’aspect atomisé et fragmenté de la société roumaine, résultant de son passé communiste et de l’hyper libéralisme moderne. Les personnages, qu’ils soient issus des classes populaires ou plus huppées, sont apathiques, racistes et ne cherchent pas à se rebeller contre le système en place. L’ambiance d’indifférence généralisée est renforcée par les mentions détachées d’événements mondiaux tels que la guerre en Ukraine ou la mort de Godard par euthanasie.

Sur le plan esthétique, le réalisateur utilise différents formats de cadres et mélange les types d’images. Du noir et blanc pellicule à la couleur numérique pixelisée, en passant par la couleur du film d’époque, chaque format symbolise les contrastes culturels de la société roumaine. Les décors, mêlant immeubles modernes et anciennes bâtisses, renforcent cette opposition entre tradition et modernité.

Le film met également en lumière l’impact des nouvelles technologies sur la société. Les outils technologiques omniprésents fragmentent l’espace et créent des fenêtres sur un monde abstrait. L’utilisation de la musique, une succession de musiques intradiégétiques sans grande cohérence, accentue la perte de repères et de goût de la communauté. Les personnages vulgaires sont contrés par la beauté poétique du noir et blanc, qui adoucit la dure réalité exposée.

Un aspect intéressant du film est l’insertion régulière d’images d’un film roumain des années Ceau?escu, qui montre une vision idéalisée de la société roumaine de l’époque communiste. Cette mise en parallèle avec le parcours d’Angela questionne la période contemporaine et met en évidence l’égoïsme et le narcissisme des individus d’aujourd’hui.

La dernière partie du film interroge le rôle du cinéma dans la société contemporaine. Alors qu’il était autrefois utilisé comme un instrument de pouvoir pour promouvoir une idéologie, il est désormais montré comme un outil de manipulation et de dissimulation de la vérité. Le plan séquence utilisé pendant cette partie donne une fausse impression de réel, tandis que les quatre premiers cinquièmes du film, par leur approche composite, se rapprochent davantage du vrai.

N’attendez pas trop la fin du monde est un film qui dénonce les affres de la société roumaine contemporaine. Avec son ton acerbe, ironique et acide, il met en lumière les mensonges présents et passés, tout en questionnant l’histoire roumaine. Ce chef-d’?uvre baroque et complet offre une expérience cinématographique riche et généreuse, à ne pas manquer.